La fonction utopique que l'œuvre de Theodor W. Adorno attribue à la littérature dessine l'horizon d’une « langue sans terre », au-delà de la « dialectique de la raison » et de l’autodestruction de la Raison. Tandis que le discours philosophique a sans cesse reproduit dans son appareil conceptuel la violence mythico-rationnelle à l’encontre du singulier non-identique, la langue littéraire semble indiquer la possibilité d’aller avec le concept au-delà du concept. Cet enjeu utopique de la pensée comme dialectique négative n’est pas seulement épistémique : il est bien éthico-politique, lié à la possibilité d’établir des rapports à l’autre libérés de la contrainte de l’identité.
Dans les œuvres littéraires dont il entreprend la lecture – qu’il s’agisse de celles d’Eichendorff, de Hölderlin, de Proust, de Valéry, de Beckett ou encore de Kafka – Adorno ne cherche pas une figure concrète de l’utopie, mais la trace de « ce qui nous appartient en propre et qui a été laissé en blanc » – aussi bien dans les textes que dans l’Histoire.
L’auteur expose les enjeux philosophiques, esthétiques et politiques de la littérature dans la pensée adornienne, puis procède – et c’est là le cœur de l’ouvrage – à une « lecture de lectures », à une traversée des essais qu’Adorno consacra, tout au long de sa vie, aux textes littéraires, pour trouver en ceux-ci les indices de l’utopie à l’œuvre.