Il existe dans l'espace alpin des saints militaires singuliers qui auraient appartenu aux légions de l'Empire romain et auraient été martyrisés pour leur foi chrétienne au IIIe siècle. La légende de la Légion Thébéenne en est le récit le plus connu. Pour réprimer un soulèvement gaulois en Bourgogne, l'empereur Maximien lève une légion à Thèbes en Haute-Egypte. Stationnés en Suisse, les légionnaires sont décimés par la garde impériale car ils refusent de se plier au rite païen de l'Empire. Cependant quelques-uns s'échappent du massacre et évangélisent les Alpes et l'Europe, avant d'être rattrapés par l'armée régulière sur les lieux de leur oeuvre. Cette légende a permis l'invention de nombreux saints locaux dans les Alpes du sud et une intense instrumentalisation politique.
La sainteté légionnaire se présente ainsi comme une forme particulière de sainteté, qui conduit à s'interroger sur les usages passés et présents de ce modèle ainsi que sur les procédures narratives, iconographiques et rituelles de construction de cette sainteté locale. En s’appuyant sur l'étude pionnière de Robert Hertz sur l'un d'entre eux, ce texte explore, dans le cadre d'une enquête extensive et comparative, la prolifération des saints légionnaires dans les Alpes du sud. Il constitue ainsi une contribution à une anthropologie du christianisme sensible à la dimension locale de ces êtres surnaturels, qui n'échappent pas à l'histoire des hommes qui les fabriquent.