Le monde bipolaire d’hier a disparu il y’a un quart de siècle,
laissant temporairement place au règne unilatéral de l’hyper -
puissance américaine, qui s’est aussitôt efforcée d’unifier le
monde de Vancouver à Vladivostok comme une seule aire de
coprospérité et de démocratie libérale. Outre les frictions que
cette fiction a pu engendrer en se déployant, deux mouvements
sont venus la contrarier.
Du monde musulman, d’une part, a surgi un rejet violent de cette
mondialisation-là, auquel l’Amérique a dû faire face par la force,
mais qui n’en continue pas moins de s’affirmer, parfois cruellement.
Il occupe les esprits et focalise les stratégies.
Mais dans le même temps, d’autre part, s’est dessiné un
mouvement beaucoup plus ample, d’abord perçu comme un
bienfait, celui qui a conduit de plus en plus de pays émergents
à représenter ensemble le premier foyer de croissance dans
le monde, et le quart du PIB global de la planète.
Il s’agit là d’un basculement tectonique des équilibres du monde,
auquel la Chine prend une part majeure. Cette transformation
silencieuse positive, inverse de la bruyante et destructrice
insurrection islamiste mais parallèle à elle, remet en jeu à voix
de moins en moins feutrées le magistère de l’Occident.
Deuxième Grand déchu, la Russie a d’abord assez longtemps
cherché à trouver sa place dans le nouveau monde animé par le
projet occidental d’un monde unifié à l’enseigne du G8. Rebutée,
elle est encline à dériver vers le nouveau pôle qui se dessine
autour de la Chine, le monde multipolaire et coopératif des
émergents. Bien des attaches l’amarrent encore à l’Europe,
mais si elle déhalait, désamarrée, du côté des forces nouvelles,
la face du monde en serait changée à terme.
Dans ce grand basculement de la prépondérance américaine
vers l’influence des émergents, c’est l’Union Européenne
qui détient les clés d’un équilibre désiré par tous. Elle semble
les avoir temporairement égarées